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4 min de lecture
Publié le 11/10/2018
Par Alexandre BROCHOT
La construction est un moyen fort pour relier deux pays. Existe-il d'autres moyens de connecter la France et le Royaume-uni ?
Deux semaines après la publication de la liste des 23 plus grands ponts de France nécessitant des travaux de rénovation suite à la catastrophe de l’écroulement du viaduc autoroutier à Gênes en août dernier, nous souhaitons revenir sur le projet de la construction d’un pont entre le Royaume-Uni et la France. En effet, plus de deux ans après le vote du Brexit, les négociations sur la sortie du Royaume-uni de l’Union européenne suivent leur cours en rencontrant de nombreux obstacles. L’ancien Maire de Londres et ex-ministre des affaires étrangères proposait en début d’année à notre président de ne pas couper tous les ponts avec l’hexagone. Où en est ce projet à l’heure actuelle ?
« Il est ridicule que deux des plus grandes économies du monde soient reliées par un chemin de fer unique. Nos succès économiques dépendent de bonnes infrastructures et de bonnes connexions. Le tunnel sous la Manche ne devrait-il pas n’être qu’une première étape ? » twittait Boris Johnson en janvier 2018 suite à un meeting avec Emmanuel Macron.
En effet, Boris Johnson avait émis en janvier dernier, l’idée d’un pont long de 35 kilomètres, reliant Douvres au Cap Gris-Nez. Soit un projet estimé à 136 milliards d’euros !
Le projet de relier le Royaume-Uni à la France connaît ses premiers adeptes en 1891, l’idée d’un pont à 72 mètres au-dessus de la mer est envisagée, cette hauteur permettant aux plus grands navires de passer dessous. Il devait relier le cap Gris-Nez (France) à Folkestone (Angleterre). Sa largeur de 8 mètres aurait été composée d’une voie ferrée pour l’aller et d’une autre pour le retour. Après 12 ans de chantier et 860 millions de francs mis en jeu, le chantier est abandonné car trop conséquent.
Un siècle plus tard, un nouveau projet est lancé : construire un pont, routier et ferroviaire cette fois-ci. Il devait comprendre six voies de circulation, mais sera abandonné trois ans plus tard.
En 1981, le projet du tunnel sous la Manche que l’on connaît actuellement est finalement choisi. Il est intéressant de savoir qu’il était en compétition avec 3 autres projets :
- Europont,pont-tube de 37 kilomètres soutenu par 8 pylônes de 340 mètres de hauteur, faisant appel à des techniques nouvelles, avec des travées longues de 5 kilomètres suspendues à des câbles en kevlar. Le pont aurait eu deux niveaux de six voies chacun. La liaison ferroviaire se serait faite par un tunnel. Le coût était évalué à 68 milliards de francs.
- Euroroute, un ensemble routier pont-tunnel-pont. Les plans comprenaient des ponts à haubans avec des travées de 500 mètres de portée reliant des îles artificielles à la côte, ainsi qu’un tunnel de 21 kilomètres sous le fond de la mer. Une liaison ferroviaire indépendante serait passée par deux tunnels. Le coût était évalué à 54 milliards de francs hors frais financiers.
- Transmanche Express, un double tunnel ferroviaire et une liaison routière par ponts et tunnels, raccordés par deux îles artificielles au milieu de la Manche. Ce projet a été présenté à la dernière minute par la société British Ferries. Il comprenait un ensemble de quatre tunnels (deux routiers et deux ferroviaires) unidirectionnels. Deux îles artificielles auraient été créées pour assurer la ventilation des tunnels routiers via des puits. Le coût annoncé était de 30 milliards de francs.
Théoriquement oui sachant que des ponts bien plus longs existent. Allant du pont de la baie de Hangzhou (Chine) mesurant 35,6 km de long, au plus grand du monde : le pont Danyang-Kunshan (Chine) de 164,8 kilomètres de long, Novoceram ne place aucun pont Européen dans son classement des 10 plus grands ponts du monde. Le pont Vasco de Gama (Portugal), le plus grand d’Europe ne mesure « que » 17,1 km de long.
« Techniquement, il n’y a aucun problème, la profondeur de la Manche n’est pas telle que nous ne soyons pas capables de le faire», confirme Michel Virlogeux, ingénieur inconnu du grand public, ayant construit de nombreux ponts, dont ceux de l’île de Ré, de Normandie ou le viaduc de Millau.
Le problème n’est en fait pas théorique mais pratique. Le problème majeur, déjà rencontré lors des précédentes tentatives de constructions il y a presque 200 ans, est la circulation maritime dans ce secteur. En moyenne, un navire entre ou sort de la manche toutes les trois minutes selon les déclarations aux Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (Cross). Ceux-ci représentent 20% du trafic maritime mondial. Les risques d’une construction d’un pont semblent donc importants, notamment à cause d’éventuelles collisions des navires sur celui-ci. Ces navires transportant des produits divers, dont certains pétroliers, les dégâts seraient alors bien trop conséquents. C’est pour cela qu’il y a 30 ans, le tunnel ferroviaire l’a emporté sur les autres propositions.
De plus, le cout d’un tel projet s’élèverait à environ 4 milliards d’euros selon Michel Virlogeux : comptant au moins 25 m de large (2 fois 3 voies) et 25 km de long. Un total donc de 600 000 mètres carrés.
Un projet donc de grande envergure, sachant que le tunnel sous la manche, construit il y a 24 ans, avait déjà couté 12,5 milliards d’euros. Un pont ayant la même fonction est il réellement nécessaire ?
La société britannique Aquind travaille sur un schéma d’interconnexion sous la Manche entre la France et le Royaume-Uni pour transporter de l’électricité d’ici 2023. Si ce projet obtient tous les feux verts, l’entreprise entrera dans sa phase de construction en 2020. Ce projet d’interconnexion a été déposé en septembre 2017 devant la Commission nationale pour le débat public (CNDP) et se trouve encore en phase de concertation. Le développement du projet Aquind a été commencé en 2014 avec la désignation de la France et du Royaume-Uni comme le marché de connexion optimale pour une nouvelle interconnexion électrique.
Les porteurs de ce projet sont donc Aquind Limited, une société à responsabilité limitée britannique, acteur privé du développement des réseaux énergétiques transfrontaliers. À ses côtés RTE, gestionnaire du réseau public de transport d’électricité français, qui a pour mission l’exploitation, la maintenance et le développement du réseau de très haute tension. Actuellement, le réseau de transport d’électricité français est relié aux réseaux de six autres pays européens : le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, ainsi que la Suisse.
Il n’existe, pour le moment, qu’un seul échange de ce type entre la France et le Royaume-Uni à Calais, datant des années 1980, ce qui fait de cette frontière l’une des moins bien intégrées au sein du marché européen.
Le projet d’interconnexion d’Aquind (société britannique), devrait permettre de transporter 16 MWh par an, soit 3 % de la consommation totale française et 5 % côté Royaume-Uni. Il mettrait en place 20 km de liaison terrestre au Royaume-Uni, 185 km de cable sous-marin et 40 km de liaison terrestre en France. En tout, 245 km de câble sous la manche, reliant le poste électrique de Barnabos (Normandie), à celui de Lovedean, au nord de Portsmouth (Angleterre).. Le coût prévisionnel total est de 1,4 Md€, partagé équitablement entre les 2 pays, la totalité des investissements étant pris en charge par Aquind, sans participation publique.
Ce projet s’inscrit dans la volonté de l’Union européenne d’accélérer le développement des interconnexions au sein du continent et ses alentours. Il met en œuvre un règlement du parlement européen concernant les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité. Afin de mieux répondre aux enjeux de la transition énergétique, dans un objectif de compétitivité, de durabilité et de sécurité d’approvisionnement, l’Europe a mis en place une réglementation favorisant et encadrant le développement d’interconnexions transfrontalières par des opérateurs privés. Le fait que le Royaume-Uni soit en phase de départ de l’Europe n’aura donc aucune incidence sur le projet.
En résumé, l’idée de Boris Johnson de construire un pont entre la France et le Royaume-Uni émis en janvier paraissait être un projet fou. En réalité, ce projet avait déjà été pensé bien avant. Une vingtaine d’années après la construction du tunnel sous la manche, le projet d’Aquind de construire un pont électrique semble plus raisonnable et plus approprié aux besoins des deux pays. Il permettrait une meilleure gestion de la demande mais aussi l’amélioration de la compétitivité et une meilleure intégration des énergies renouvelables au sein du marché.
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